Covid 19 : plus de traçabilité alimentaire grâce à la blockchain ?

Beaucoup d’articles ont été écrits dernièrement sur Le Covid-19 et son impact sur la société et sur l’économie mondiale. Je souhaiterais me pencher aujourd’hui sur les conséquences de cette crise sanitaire sur l’industrie agro-alimentaire et plus particulièrement sur la confiance des consommateurs quant à l’origine des aliments consommés. Car si le “Made in France” acquiert plus de pertinence dans le futur du fait des problèmes d’approvisionnement et de la trop grande dépendance vis à vis de l’étranger mis en évidence par cette crise, il est très probable que les consommateurs, de plus en plus préoccupés par l’impact environnemental de leur consommation, viennent à exiger davantage de transparence et une meilleure traçabilité alimentaire.

Quelles sont les solutions qui existent aujourd’hui ? Peut-on faire confiance aux labels ? La blockchain ne serait-elle pas la solution permettant de répondre aux nouvelles exigences des consommateurs ?

Le Covid-19 : son impact sur l’industrie agro-alimentaire

 

Le développement durable : une priorité pour l’industrie agro-alimentaire

L’origine du Coronavirus, qui a fait aujourd’hui plus de 150 000 morts dans le monde, n’a pas encore été entièrement prouvée mais la communauté scientifique s’accorde sur le fait qu’il soit d’origine naturelle : le virus aurait été transmis à l’homme par un animal (chauve-souris, pangolin ou serpent).

Cette découverte fait resurgir les débats concernant les effets néfastes de notre mode de vie et de notre modèle économique sur l’écosystème de la planète. En effet, la relation entre l’apparition de certains virus récents et les changements environnementaux a été démontrée .

En 2016, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), avait indiqué que, quand l’environnement des espèces animales sauvages est perturbé, le risque d’apparition de virus d’origine animale s’intensifie.

Ainsi la réémergence du paludisme en 2010 en Amérique Latine a été associée à la fragmentation de la forêt Amazonienne, et au Liberia, il a été prouvé que l’épidémie d’Ebola a été causée par le déboisement massif de la forêt tropicale poussant différentes espèces de chauve souris à se rassembler sur un espace réduit générant ainsi un bouillon de culture transmissible à l’homme.

Il est estimé que le Covid-19 ne serait que le précurseur d’un virus beaucoup plus contagieux et létal qui risque de surgir dans un futur proche à cause du dérèglement climatique. On pense, en effet, qu’un tiers du permafrost de l’Arctique, pourrait fondre en libérant des germes pathogènes oubliés, particulièrement néfastes pour l’homme.

Cette crise par conséquent va amener les êtres humains à prendre conscience que pour leur survie, il faudra être encore plus vigilant et respectueux de l’environnement.

Le Retour vers le “Local” ?

Avec la déstabilisation des chaînes d’approvisionnement et la fermeture des frontières, le commerce mondial s’est effondré.

La crise sanitaire a mis en lumière la trop grande interdépendance dans l’approvisionnement de biens de consommation.

Selon la FAO (l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), les difficultés logistiques s’accentuent : blocages de routes, restrictions de transports, mesures de quarantaine vont entraîner des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire.

Par conséquent cette crise sanitaire risque de modifier profondément les chaînes de valeur notamment la localisation des productions au moins pour les produits stratégiques.

Emmanuel Macron dans son interlocution du 31 Mars dernier a mentionné que :

“Notre priorité est de produire davantage en France et en Europe”.

 

La traçabilité alimentaire : un besoin latent qui va s’accentuer

 

Des consommateurs de plus en plus exigeants

Dès 2016, une étude Ipsos montrait que les Français sont de plus en plus attentifs à ce qu’ils mangent et au-delà de l’impact sur la santé, les dimensions sociales et environnementales de l’alimentation progressent.

Plus d’une personne sur deux déclarait consommer de plus en plus de produits ayant un faible impact sur l’environnement (47%), respectueux du bien-être animal (47%), et garantissant un juste revenu au producteur (44%).

Etude Ipsos sur l'alimentation durable

Ipsos Infographie Traçabilité alimentaire

 

 

Cependant 83% des sondés disent ne pas disposer d’assez d’informations sur l’impact social des produits (conditions de travail et rémunération des producteurs), 78% sur l’impact environnemental, et autant sur l’impact sur la santé.

Le besoin de traçabilité alimentaire accentué par la crise sanitaire

La crise sanitaire du Covid-19 va accentuer ce besoin latent de traçabilité alimentaire car les consommateurs vont de plus en plus vouloir s’assurer que les produits qu’ils consomment sont respectueux de l’environnement et du bien-être animal.

Et les informations ne sont pas toujours très claires. En effet une étude d’Opinionway pour Foodcamp de 2018 montre que les Français jugent les informations diffusées par les marques peu complètes (65%) et peu fiables (57%)

Les Français et l'alimentation

Etude Opinionway pour Foodcamp 2018

Les labels de qualité : une traçabilité alimentaire limitée

 

Les labels existant aujourd’hui

Il existe un grand nombre de labels de qualité qui permettent de rassurer le consommateur quant à l’origine géographique du produit, la qualité de la matière première utilisée ou les méthodes de production respectueuses de l’environnement, du bien-être animal ou de la tradition.

Cependant pour qu’un label soit reconnu légalement, il faut qu’il fasse l’objet d’un cahier des charges et dispose d’un organisme accrédité pour délivrer des certificats de conformité.

Les labels de qualité

Les différents labels de qualité

 

Les labels qui portent sur l’origine géographique comme l’AOC (Appellation d’origine contrôlée) en France ou au niveau Européen AOP (Appellation d’origine protégée) ou IGP (indication géographique protégée) désignent des produits qui sont fabriqués selon un savoir-faire régional et dont les principales étapes ou toutes les étapes de fabrication sont réalisées dans cette région

Les labels qui portent sur la qualité comme Le label rouge en France indiquent que les produits, de par leurs conditions de production, ont un niveau de qualité supérieur par rapport aux autres produits similaires

Les labels portant sur l’environnement et le bien-être animal comme AB (Agriculture Biologique), garantissent que le mode de production est respectueux de l’environnement et du bien-être animal

Enfin les labels portant sur la tradition comme par exemple STG (spécialité traditionnelle garantie) protègent un mode de production traditionnel.

Il existe bien d’autres signes de qualité qui ne sont pas des labels officiels mais donnent des informations pertinentes au consommateur comme par exemple le logo de Pêche Durable, le logo Fairtrade qui est une approche globale pour le commerce équitable visant à lutter contre les injustices du commerce mondialisé et à améliorer la situation des producteurs ou encore Bleu-Blanc-Coeur qui vise à améliorer la qualité nutritionnelle des produits en augmentant la qualité de l’alimentation des animaux.

 

La limite des labels

Cependant tous ces labels ont leurs limites et ne répondent pas entièrement au besoin de traçabilité alimentaire car

  • Ils ne permettent pas tout d’abord d’assurer le potentiel santé de l’aliment : sa capacité à agir d’une manière bénéfique pour la santé. Ce potentiel se compose d’une part des nutriments de l’aliment mais aussi de sa structure physique. Des aliments trop transformés contenant un nombre trop important d’additifs, ou utilisant des procédés chimiques de fabrication ont un potentiel santé réduit. Ainsi un biscuit au label Bio peut contenir des ingrédients tels que des lécithines de tournesol et une solution glucose-fructose peu naturels. Un jambon Label Rouge peut contenir des nitrites de sodium qui sont cancérigènes.
  • La multiplicité de logos et de labels dans les emballages rend parfois assez confuse l’information présentée.
  • De même un certain nombre de labels ne sont pas toujours connus ni compris par les consommateurs et exigent un travail d’éducation.
  • Il existe également, un certain nombre de labels qui sont trompeurs, qui ne sont pas de “vrais” labels de qualité mais ils sont utilisés comme outils marketing. Pour certains d’entre eux, les industriels ont acheté parfois le droit d’apposer les logos comme par exemple la dénomination  “Saveur de l’année”.

 

Comment donc les consommateurs peuvent-ils donc avoir accès à une réelle transparence sur l’origine des produits, la qualité des ingrédients utilisés, leur processus de fabrication et de transport afin de pouvoir être certains que le produit répond bien à leurs exigences et valeurs?

 

La blockchain : la solution pour une meilleure traçabilité alimentaire ? 

La Blockchain alimentaire pourrait être la solution pour mieux répondre aux attentes des consommateurs.

Qu’est-ce que la blockchain?

La blockchain est une base de données numérique infalsifiable sur laquelle sont inscrites toutes les interventions effectuées, étape par étape, par l’ensemble des acteurs d’une filière.  La sécurité est garantie par des techniques de cryptographie numérique. Chaque bloc de données est daté et connecté à celui produit avant lui dans la chaîne et validé par les utilisateurs. Une fois ajouté, un bloc ne peut être ni supprimé ni modifié. Il est ainsi possible de sécuriser les transactions, de déterminer la provenance des aliments et surtout de garantir la fiabilité des informations.

Une bonne façon de comprendre comment fonctionne la blockchain est de prendre l’exemple du poulet d’Auvergne de Carrefour. Grâce à la Blockchain, le consommateur va pouvoir accéder à un certain nombre d’informations pertinentes sur le produit et son parcours depuis sa naissance jusqu’à sa mise en rayon.

Infographie Blockchain Carrefour traçabilité alimentaire

Infographie Blockchain Carrefour traçabilité alimentaire

Infographie : Blockchain Carrefour

 

 

Les avantages de la blockchain

Les avantages de la blockchain sont multiples.

 

Pour les producteurs :

  • La blockchain va permettre de lutter contre la fraude. On estime le coût de la fraude dans le secteur alimentaire à près de 40 milliards de dollars par an (selon une étude Pwc, 2016). (Un exemple de fraude alimentaire est celui de la viande de cheval en 2013). Grâce à la Blockchain les producteurs pourront détecter en temps réel toute modification du produit ; la remontée d’information étant immédiate. Les produits défectueux ou non conformes pourront être immédiatement retirés évitant de cette façon le retrait coûteux de lots entiers et le scandale alimentaire qui en découle et qui porte préjudice à la crédibilité de l’entreprise.
  • La blockchain peut permettre également d’améliorer significativement la confiance des consommateurs envers l’authenticité des produits et des messages véhiculés dans les emballages.

Pour les Distributeurs

  • Grâce à la blockchain ils pourront détecter si un produit non désiré arrive par erreur dans les rayons. Celui-ci pourra ainsi être facilement identifié et retiré immédiatement au lieu de devoir remonter la chaîne d’approvisionnement.

Pour les consommateurs

  • Ils auront la possibilité à travers la lecture du QR code du produit, d’avoir accès à toutes les informations pertinentes concernant la traçabilité du produit et pourront ainsi avoir l’assurance que l’étiquette “dit vrai”
  • De même grâce à la Blockchain, ils pourront faire les choix pertinents répondant à leurs valeurs ou à leurs styles de vie : choisir les produits en fonction de leur provenance, conditions d’élevage, de culture etc.

Quels sont les fournisseurs de cette technologie pour l’industrie agro-alimentaire?

Il existe différents fournisseurs de la technologie Blockchain. Pour l’industrie alimentaire, un des précurseurs a été IBM Food Trust.

Cette plateforme créée en 2016 est un réseau Cloud qui fournit des données aux distributeurs, producteurs et industriels de l’agroalimentaire sur leur écosystème. Carrefour, Casino et Nestlé ont été les premiers à s’engager dans la construction d’une plateforme Blockchain IBM Food Trust.

 

Connecting Food

Connecting Food est une start up Française créée en septembre 2016, spécialisée dans la Blockchain. Elle offre la possibilité de tracer les produits lot par lot. Son module “Live audit” permet d’auditer la qualité des produits en temps réel.

Sur la scène mondiale, Connecting Food a été classée première dans la catégorie “sécurité et traçabilité des aliments” du Foodtech 500.

Maxine Roper, co-fondatrice de l’entreprise, attribue le succès de Connecting Food à la traçabilité :

“Les grands groupes investissent dans la sécurisation de leur filière de fabrication. Il est important que le consommateur le sache”. 

Et effectivement, l’entreprise a signé des contrats avec Mondelez, Herta, Terres du Sud, Delmond foies gras et canard entre autres.

Connecting Food

Application Connecting Food

 

Quelles sont les marques précurseures?

Le groupe Nestlé

Le groupe a été un des précurseurs dans l’utilisation de la blockchain.

En avril 2019, l’entreprise annonce l’application de la blockchain sur sa célèbre purée Mousline en partenariat avec Carrefour et IBM Food Trust dont elle est membre fondateur. Grâce au QR code, le consommateur peut ainsi obtenir des informations quant à la variété des pommes de terre utilisées, les dates et lieu de fabrication, le contrôle de qualité, les lieux et dates de stockage avant la mise en rayon.

Purée Mousline traçabilité alimentaire

La purée Mousline

En Novembre 2019, l’entreprise annonce le lancement de la blockchain pour les laits Bio pour enfants Guigoz également en partenariat avec Carrefour et IBM Food Trust.

Lait Guigoz traçabilité alimentaire

En avril 2020, l’entreprise annonce l’utilisation de la Blockchain IBM Food Trust pour son  café Zoégas commercialisé en Suède et en particulier pour la gamme “Summer 2020” certifiée 100% Rainforest Alliance.

Cette année, Herta s’engage également dans une démarche Blockchain avec la plateforme Connecting Food sur le jambon tendre noix sans antibiotiques.

Mondelez

En Juillet de cette année Mondelez lancera en France la première blockchain sur un biscuit. En scannant le QR Code du Véritable Petit Beurre de Lu, le consommateur aura toute l’information sur le blé utilisé qui est cultivé dans le cadre d’un programme intitulé Harmony que Mondelez a lancé en 2008 pour le développement d’une production de blé durable. Le projet est né de l’engagement de la filière soit 4 coopératives et 2 meuniers ainsi que de son usine de fabrication à la Haye Fouassière, près de Nantes.

Autres marques

D’autres marques se sont également lancées dans une initiative blockchain. Parmi elles : Terres du Sud qui va lancer la première blockchain de la filière canard permettant d’accéder à l’ensemble du parcours de l’animal de la ferme jusqu’au magasin et de vérifier le respect des engagements de la marque.

 

Conclusion

La crise du Covid-19 va accélerer la demande de transparence et de traçabilité alimentaire. Car même si les causes de cette épidémie ne sont pas totalement prouvées, il est certain qu’il existe une relation étroite entre l’apparition de ces virus et les changements environnementaux provoqués par nos modes de vie et notre modèle économique.

Et les consommateurs qui voulaient déjà être mieux informés sur l’impact des produits qu’ils consomment sur leur santé et sur l’environnement, vont exiger encore plus de transparence.

Cependant les solutions qui existent aujourd’hui et les labels alimentaires ne répondent pas entièrement à leurs attentes.

La blockchain, qui commence déjà à être utilisée par certaines marques de l’agroalimentaire, va permettre d’aller plus loin et d’offrir beaucoup plus d’informations pertinentes sur la traçabilité alimentaire.

Le marketing du 21ème siècle pour l’industrie agroalimentaire doit devenir un marketing de la confiance, un marketing de la transparence et la blockchain en est probablement un des outils les plus prometteurs.